-
Quelle tête, tu
fais peur à
voir, s'exclama à son tour le Docteur.
Le
Farfouilleur exposa ses symptômes en insistant particulièrement sur
sa mémoire défaillante et la perte de sa lame.
-
Hmmm, tout porte à croire que tu
souffres
d'une bonne gueule de bois, diagnostiqua le Docteur.
-
Vraiment, mais... ce n'est pas du tout mon genre, bredouilla le
Farfouilleur.
-
Oui, c'est ce qu'ils disent tous. Tiens, avale ça.
Le
Docteur lui tendit un gobelet rempli d'une substance nauséabonde à
l'aspect peu engageant.
-
C'est une infusion de champignons turquoises.
Très efficace. D'ailleurs, tu devais
m'en rapporter de ta dernière expédition. Tu n'en as pas
trouvé ?
Le
Farfouilleur ne sut pas quoi répondre, il n'en avait aucun
souvenir. Et en silence, il ingurgita la mixture.
-
Beeuuuuh, c'est très amer, maugréa-t-il.
À
peine avait-il reposé son verre que l'Assistant le mettait à la
porte en prétextant que le Docteur avait beaucoup de travail
notamment avec tous les patients qui, eux, avaient pris rendez-vous.
Midi
approchait et c'est une véritable fournaise qui cueillit le
Farfouilleur à sa sortie du cabinet
médical. Sans attendre, il se dirigea vers le bar de la ville. Si le
Docteur avait raison, c'est là-bas qu'il avait passé sa soirée.
L'établissement était désert mais le Barman lui s'activait
dans tous les
sens. Il rangeait, briquait, remontait des caisses de bouteilles du
sous-sol. Le Farfouilleur profita d'une légère accalmie pour
l'interpeller.
-
Qu'est ce que vous me voulez ?
grogna le Barman sur la défensive avant de s'adoucir. Oh mais
c'est vous. Je vous avais pas reconnu... Vous avez vraiment une
sale tête.
Le
Farfouilleur comprit qu'il avait vu juste et il demanda au barman
de lui en dire un peu plus sur sa venue.
-
Ah ça, vous avez
mis une sacrée ambiance, mon petit monsieur. Tournées générales
et vas-y que je chante et que je danse. Je
vous cache pas que vous avez énervé plus d'un de mes habitués.
Vous avez pas votre langue dans votre poche, vous.
-
J'ai dû boire plus que de raison pour agir ainsi. Ce n'est pas
du tout mon genre, se lamenta le Farfouilleur.
-
Ah mais vous n'avez pas bu une goutte, mon petit monsieur. Vous
avez arrosé tout le monde mais rien n'est tombé dans votre
gosier.
-
Vraiment, mais comment expliquer mon état, alors ? Et mon
amnésie ?
Le
Barman haussa les épaules. Les comment et
les pourquoi l'intéressaient peu.
-
Est-ce que, par hasard, j'aurais laissé mon arme dans votre
échoppe ?
-
Ah non. Vous aviez pas d'arme en arrivant. Je m'en souviens bien
parce que je me suis dis que c'était vraiment osé
de se balader comme ça, sans défense. Surtout avec une bourse aussi
bien garnie.
Cette
dernière remarque interpella le Farfouilleur. Si sa bourse était
pleine, c'est qu'il était passé chez le Commerçant pour vendre
ses marchandises.
Sans
plus attendre, il abandonna le Barman. Le soleil de midi l'écrasa
sous ses rayons ardents. Il eut beau raser les murs, c'est
ruisselant de sueur et la nuque brûlée qu'il parvint devant la
boutique du Commerçant. La fraîcheur du
magasin le soulagea mais ce répit
fut de courte durée. En effet, le
Farfouilleur se
retrouva nez-à-nez avec la plus Jolie Fille du village. Aussitôt
son visage s'empourpra et il bafouilla un semblant de salut. Il
n'eut pas le temps d'en dire plus. La Jolie Fille lui asséna une
claque retentissante, qui lui dévissa le cou, avant
de tourner les talons et de s'enfuir en pleurant.
Le
bruit de l'altercation fit lever la tête au Commerçant. Aussitôt,
son visage devint rouge de fureur.
-
Toi, fulmina-t-il. Comment oses-tu revenir ici ? Je t'avais
prévenu Farfouilleur que si tu revenais dans ma boutique, je te
démonterais la tête...
Tout
en parlant, le Commerçant avait déplacé sa masse avec une rapidité
déconcertante vers le Farfouilleur. Il l'empoigna et le menaça de
son poing.
-
Ah, je vois que quelqu'un m'a devancé. Il t'a fait une belle
tête, tiens, ricana-t-il en le lâchant.
Le
Farfouilleur se répandit en excuses, bien qu'il ne sache pas
encore ce qu'il avait pu faire ou dire de mal. La
seule explication, qui lui venait, était qu'une personne pour une
raison inconnue
l'avait drogué. D'où son comportement étrange. Il s'en
ouvrit au Commerçant.
-
Hmmm, possible, ronchonna
ce dernier. Moi, tout ce que je sais, c'est que tu es venu me
vendre ta camelote, comme d'habitude. Mais tu en exigeais un prix
déraisonnable. J'ai voulu marchander, comme on le fait tout le
temps. Et là, tu as commis l'impardonnable...
Le
Commerçant marqua une pause mélodramatique qui exaspéra le
Farfouilleur. Il fallait toujours qu'il en fasse trop.
-
L'impardonnable, souffla le Commerçant. Tu as pris mes clients à
partie en m'accusant d'être un arnaqueur. Moi, s'exclama-t-il.
Tu as prétendu que mes prix étaient bien au-dessus de ceux
pratiqués dans les autres cités. Sais-tu le tort
que tu m'as causé ? Tous mes
clients me regardent de travers maintenant. Ils me demandent tous des
rabais, s'écria-t-il exaspéré.
-
Mais... On a quand même fait affaire puisque ma bourse était
pleine.
-
Oui, j'ai accepté ton offre. Mais uniquement pour te faire taire
et pour que tu ne ruines pas définitivement ma réputation.
-
Et ma lame, je ne vous l'ai pas vendue
quand même ? interrogea
le Farfouilleur, pris
d'un horrible doute.
-
Ta lame ? Non. Je ne pense pas que tu l'avais avec toi. Sinon,
je l'aurais utilisé pour te fendre en deux. Maintenant, tu sais à
quoi t'attendre si tu me joues un autre de tes mauvais tours, le
menaça-t-il.
Sur
ces bonnes paroles, le Farfouilleur préféra se retirer.
L'après-midi
s'étirait lentement et le Farfouilleur, après avoir écumé tous
les recoins de la ville, ne savait plus où chercher sa lame. Dépité
mais aussi affamé, il décida d'aller se restaurer avant de
poursuivre ses recherches. Alors qu'il tournait au coin de la rue,
il s'arrêta ébahi. Tranquillement assis devant le restaurant, ce
tenait Loony. De sa main droite, il brandissait une brochette de
crabes et dans sa main gauche, il tenait négligemment sa lame.
Le
Farfouilleur alla à sa rencontre.
-
Ah, salut. J'aime bien ton nouveau visage, il est marrant,
l'accueillit Loony.
-
Ce n'est pas un nouveau... laisse tomber. Dis-moi plutôt ce que tu
fais avec ma lame.
-
C'est toi qui me l'a confiée.
-
Moi, mais jamais j'aurais... Le
Farfouilleur s'interrompit. La journée passée lui avait prouvé
qu'il pouvait faire beaucoup de choses qu'il pensait impossible.
Raconte-moi ça, reprit-il.
-
Eh bien, tu me l'a tendue et tu m'as dit : « Tiens moi
ça ».
Le
Farfouilleur attendit mais rien de plus ne fut dit. Loony avait
repris la dégustation de sa brochette.
-
Ok, mais pourquoi ?
-
Tu voulais ramasser des champignons...
-
Et après, s'exaspéra le Farfouilleur.
-
Après, bah tu es ressorti de la grotte, tu as pris tes affaires et
tu es parti en rigolant.
-
Je... je comprend rien. On était devant
une grotte, tous les deux ?
-
J'avais faim et je cherchais des crabes. J'aime beaucoup les
crabes.
-
... Quel rapport ?
-
Je me suis perdu et je suis tombé sur toi. Tu
devais me ramener à la maison mais tu m'as laissé devant la
grotte.
-
Pourquoi tu n'es pas rentrer avec moi ?
-
Tu m'avais dit d'attendre.
Cette
conversation épuisait le Farfouilleur et il décida que le mieux,
pour comprendre ce qui lui était arrivé, était encore de se rendre
sur place. Il demanda donc à Loony de l'y conduire.
L'après-midi
touchait à sa fin lorsqu'ils parvinrent devant la grotte. Le
Farfouilleur s'approcha avec précaution. Il enflamma
une torche et éclaira
l'ouverture. La flamme ne changea pas de couleur, signe qu'aucun
gaz toxique n'émanait de la cavité. C'est alors que, du fond de
la caverne, une faible lueur s'alluma.
-
Loony, tu vois ça ?
-
Oui, ce sont des champignons.
-
Comment tu sais ça ?
-
C'est toi qui me l'a dit, hier.
Le
Farfouilleur reporta son attention sur la lumière.
-
Des champignons turquoises, marmonna-t-il.
-
Ah non, ils sont bleus. Et sucrés... Ils
sont bons mais pas autant que les crabes. Et
il faut bien les rincer, c'est un Tchakaï qui me l'a dit, un
maître des champignons...
-
Le docteur m'a demandé de lui rapporter des champignons
turquoises, se souvint le Farfouilleur qui ne prêtait aucune
attention au discours de son compagnon.
-
Cela sont bleus, pas turquoises.
-
Oh, bleu, turquoise, c'est la même chose. Attends-moi là, je vais
en récolter quelques uns.
Et
sans attendre de réponses, il s'enfonça dans l'ouverture. Il ne
fit que quelques pas avant d'atteindre le premier bouquet de
champignons accroché à la roche.
Seul
devant la grotte, Loony trépignait. Jamais on écoutait ce qu'il
avait à dire. Pourtant, la Maîtresse lui avait bien expliquée les
différentes couleurs.
-
Je sais faire la différence entre le bleu et le turquoise, moi,
cria-t-il à l'intention du Farfouilleur.
Au
fond de la caverne,
le Farfouilleur soupira en l'entendant.
Il tendit la main pour cueillir les champignons et en les effleurant,
un léger nuage de spores s'envola...
Tout comme sa mémoire.